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Circuit des écrivains de langue picarde du Vermandois

Maurice THIÉRY

Le paysan picard, comme les animaux avec lesquels il a beaucoup de points communs dans les contes de Maurice Thiéry, est souvent
décrit comme un peu simple et naïf. Néanmoins, il incarne également très souvent celui dont la parole est porteuse d’une vérité absolue
et évidente. Il remet en place le bourgeois, le curé et l’intellectuel qui se perdent dans des hypothèses compliquées. La réalité est devant
nous, il n’y a qu’à se baisser, ou se retrouner pour la saisir. « L’bonheur qu’l’homme i’ cherche su’ s’route est souveint à ses piids qui l’ravise passer (Le bonheur que l’homme cherche sur sa route est souvent à ses pieds, qui le regardent passer) aimait à dire notre conteur

In qu’min d’fer.

Dains un wagon d’troisième classe, un grous homme, qui pesoit bien seur approuchant dains les trois cheints et cherchoit à foire l’mossieu et à s’donner d’l’impurtance à keuse de s’carrure, s’prélassoit sur ène banquette à couté d’un brave cultivateur qu’ervenoit delle ville voisinne pour ses affoires.
Qu’est-che qu’ch’étoit que ch’prémyi ? Cha, je n’vous l’dirai pount parche que j’n’ein sais rien. Ch’étoit tout chou qu’vous vourez. Toujours est-il qu’à un moumeint, ch’grous mossieu qui suoit à grosses gouttes parche qu’ein étoit ein ploin mois d’éoùt, tandis qu’sin voisin, maigue comme un cleu étoit oussi sec qu’ène ékette, i vut prenne sin mouchoi dains s’poche et ne l’trève pount. I cherche à droite, i cherche à gueuche, dains ses poches d’patalon, rien : i n’avoit pus d’mouchoi. S’ertournant alors du couté d’sin voisin, i li dit brutallemeint :
– Ch’est vous qui m’avez pris min mouchoi.
Ch’cultivateur, sans s’émouvoir l’moins du monne, i ravise nou homme ein pleins yux et i s’conteinte, pour toute réponse, déheuchi s’z épeules.
Quites minutes apris, l’eute il ertrève sin mouchoi. Il l’avoit fourré, sans l’foire esprès drière sin dous, su l’banquette.
– J’vous demanne pardon, qu’i dit oussi brusquemeint à sin voisin que l’prémière fois, je m’sus trompé ; j’vous avois pris pour un vouleu.
– Nous s’éteins berlusé tous les deux, qu’i li répond ch’cultivateur : mi, j’vous avois pris pour un homme bien élevé.

Dans le train

Dans un wagon de troisième classe, un gros homme qui pesait sûrement autour des trois cents [livres = 150 kg] et cherchait à faire le « monsieur » et à se donner de l’importance à cause de sa carrure, se prélassait sur une banquette à côté d’un brave cultuivateur qui
revenait de la ville voisine pour affaires.
Qui était le premier ? Ça, je ne vous le dirai pas parce que je n’en sais rien. C’était tout ce que vous voudrez. Toujours est-il qu’à un moment, le gros monsieur, qui suait à grosses gouttes, parce qu’on était en plein mois d’août, alors que son voisin, maigre comme un
clou, était aussi sec qu’une écharde, veut prendre son mouchoir dans sa poche et ne le trouve pas. Il cherche à droite, à gauche, dans ses poches de pantalon, rien : il n’avait plus de mouchoir.
Se retournant alors du côté de son voisin, il lui dit brutalement :
– C’est vous qui m’avez pris mon mouchoir.
Le cultivateur, sans s’émouvoir le moins du monde, regarde notre comme droit dans les yeux et se contente, pour toute réponse, de hausser les épaules.
Quelques minutes après, l’autre retrouve son mouchoir. Il l’avait fourré, sans le faire exprès, derrière son dos, sur la banquette.
– Je vous demande pardon, dit-il tout aussi brusquement à son voisin que le première fois, je me suis trompé ; je vous avais pris pour un voleur.
– Nous nous sommes trompés tous les deux, lui répond le cultivateur, moi, je vous avais pris pour un homme bien élevé.